dimanche 22 août 2010

Le communisme dans l'âme

«On ne devient pas communiste. Il faut naître communiste, ou renoncer à le devenir jamais. Le communisme est une qualité de l’âme. Un état d’âme qui ne peut s’acquérir. Rien ne peut modifier, atténuer, exalter le ton, la valeur, la joie d’une âme. Propagande, éducation, violences, intérêts, souffrances, et même le fameux Amour n’atteignent pas l’âme. L’âme s’en fout.


Le fond d’un homme est immuable. L’âme n’apprend rien, n’oublie rien. Elle n’est pas venue sur la terre pour se faire emmerder. L’âme n’est chaude que de son mystère. Elle y tient. Elle le défend. Elle y tient par-dessus tout, envers et contre tout. La mort qui refroidit tout ne saisit pas toujours l’âme, elle se débrouille. (…)


Rien ne peut l’atteindre. Du premier au dernier souffle la même pauvreté, la même richesse, exactement. Toutes les menaces, tous les charmes, tous les subterfuges flanchent se dissipent devant sa porte, ne pénètrent jamais. Rien ne peut l’appauvrir, rien ne peut l’enrichir, ni l’expérience, ni la vie, ni la mort. Elle s’en va comme elle est venue, sans rien nous demander, sans rien nous prendre.


Le communisme dans la pratique c’est l’unanimité des âmes, des âmes toutes communistes, toutes altruistes toutes embrasées de passion unanime. (…)


Le communisme doit être folie, avant tout, par-dessus tout, Poésie. L’école des cadavres, Éditions de la reconquête, p.145-146.


Il n’y a que Céline pour oser associer ainsi, le communisme à l’âme. Novembre 1938, publication de «L’école des cadavres», comment arrêter la déferlante, gigantesque vague de fond, qu’il voit surgir dans l’obscurité et qui menace? Les coups de semonce se multiplient, depuis son voyage en URSS, Céline est habité d’un délire fiévreux, la nécessité de prévenir, de crier et de hurler contre la résignation ambiante, la conspiration des puissants sur les événements à venir, la nouvelle tuerie.


Il peut toucher du doigt l’œil de la tempête, tellement il sent sur son visage les premiers tourbillons de l’horreur. L’Ankou, dans sa charrette, qui attend, ses yeux avides avec une terrible lueur de mort; sous le capuchon, il devine son sourire. Céline est imprégné d’un état de mysticisme hors du commun, il voit l’avenir, l’immense tuerie, encore pire que 14, il connait pour en avoir vécu l’expérience.


Pire, il devine sa propre impuissance, ne rien y pouvoir; tout ce qu’il fera, peu importe sa violence, ses imprécations, le dire sera inutile et ses mots se retourneront contre lui, nécessairement. De colère et de désespoir, il se sent responsable, tenu par un devoir d’intervention, une mission morale et médicale de sauver des vies, prévenir plutôt que guérir.


Voilà son état d’esprit d’alors…


Il se sait doté d’aucun pouvoir, impossible d’être entendu, les dés sont joués d’avance, d’où sa rage, cette incapacité d’inverser la marche forcée des névrosés; une certaine écoute, bien sûr, ses livres sont lus, mais les véritables assises du pouvoir sont ailleurs, ils reposent en d’autres mains, sectes fanatiques de financiers monstrueux, tentacules visqueuses, ces mêmes créatures impitoyables qui, jadis, entrainaient navires et équipages au fond des mers.


Ce pouvoir démocratique, qu’il déteste et pense occulte, comme la somme de tous les pouvoirs, mystérieux et impalpables, concentrés entre les mains d’une infime minorité qui dictent le droit de vie et de mort sur les peuples soumis à la volonté des puissants. Là se tient la nécessité qu’ils demeurent secrets, incertains et immondes. Celui-là n’a jamais été aussi éloigné des peuples enchainés aux Lois indignes de la finance et du matérialisme. Toujours docile, le bon peuple attend les décisions sur ce qu’il sera bon d’entreprendre et de faire, il retournera à l’abattoir fièrement, avec les frémissements de l’angoisse au ventre…


Inutile de discuter, rien n’est possible, tout est déjà joué; en démocratie, comme en État totalitaire, le peuple n’a rien à dire. Jamais on ne le consulte pour les choses importantes et bien moins essentielles, surtout lorsqu’il est question de l’expédier au casse-pipe, forcément. C’est même pire en démocratie, car on lui laisse l’illusion que le peuple tient le grand rôle clé dans la marche de la civilisation, qu’il est libre de ses aspirations.


Balivernes! Ceux qui croient que le communisme c’est mieux, que la révolution prolétarienne donnera véritablement le pouvoir au peuple, que la guerre sera comme les institutions, volontaires et populaires… Alors, ceux-là se leurrent encore plus, que ce soit au nom de Dieu, au nom de la République ou au nom des dominés, le troupeau donne dans la direction qu’on lui indique.


Et Céline, de parler de l’âme


Il faut s’attarder à ce passage, se laisser porter par la souplesse et la légèreté, d’un trait de plume, il décortique sa particularité; l’âme est foncièrement libre, indépendante et anarchiste. Lentement, se laisser imprégner par ses phrases afin d’en saisir toute la portée, toute la sensibilité et la sincérité de l’écrivain face au sort de l’homme; la subtilité de sa poésie et l’infime justesse de ce qu’il tente d’expliquer. La retenue et la finesse de cet homme qui, malgré sa colère et sa clairvoyance, sait pénétrer la véritable spiritualité de l’homme.


Il définit ainsi, dans ce pamphlet honni, une perception originale de la conscience qui, malgré la lourdeur de tous les dogmes que les hommes arrivent à s’imposer, demeure la seule explication acceptable de l’essence même de l’humanité. L’âme n’a pas d’attache, elle est un état, un fluide qui accompagne l’homme au cours de sa vie. L’âme n’est pas non plus l’apanage de la vanité, ce qui distingue l’humanité du reste de l’univers. Sans l’affirmer spécifiquement, il est persuadé que les animaux possèdent également une âme, une sensibilité qui leur est propre, pensons seulement à Bébert et à la chienne Bessy. Il est médecin, toute forme de vie possède une conscience qui lui est propre.


C’est la nature même de ce fluide qui distingue les êtres les uns des autres, mais elle demeure entièrement indépendante de toutes formes d’influence extérieures. Ainsi, les religions, les idéologies et les systèmes esclavagistes politico-économiques qui cherchent à la contrôler et à restreindre sa nature, visent essentiellement à justifier et imposer une soif de domination, au nom d’un Dieu ou du bonheur obligé de l’humanité.


Tout comme les forces de la nature, il importe pour les institutions que l’âme soit apprivoisée, contrôlée, orientée et collectivisée afin de pouvoir lui faire porter la responsabilité des pires atrocités que les hommes feront, toujours pour des bonnes causes.


L’âme ne possède nulle attache, elle fait partie de l’être et vient s’y greffer simplement parce ce dernier existe; l’âme est disponible, mais inconditionnelle. L’être n’exerce aucun contrôle sur elle, aucune ascendance, l’âme est complètement indépendante de la volonté humaine. Elle est un mystère, une féérie et si jamais quelqu’un devait un jour en percer le secret, elle disparaîtra et la vie s’assèchera, la terre sera désertée et deviendra un lieu inculte. C’est ainsi, lorsque les hommes se sont détournés de l’imaginaire des fées, les hommes se sont peu à peu desséchés et retournés vers la matérialité du monde, oubliant tout le reste.


C’est inévitable. C’est ainsi, l’âme ne peut se laisser endoctriner par la philosophie et la religion, l’âme est pure poésie, de l’art, de l’émotion, danse et musique, le sens caché de la vie; la preuve de l’existence royaume des fées, mais un lieu inaccessible et inatteignable. Pour la pressentir, l’homme, à travers la poésie, doit tendre vers les sensations et l’émotion que l’âme laisse flotter autour d’elle. Chaque homme peut la côtoyer, mais sans jamais la percer, l’entretenir, la posséder. L’âme est aérienne, fluide et féminine.


L’âme est immortelle, mais simplement par ignorance, elle se situe au-delà de la normalité. La vie, la mort lui sont inconnues. Finalement, l’âme est semblable au monde des fées, nous pouvons la deviner par certains signes, mais elle se situe en parallèle et, comme toutes les fées, à leur manière, elles peuvent, peut-être, interférer dans le monde incrédule des hommes.


Ainsi, pour Céline, le communisme est un état de l’âme, une caractéristique que certaines âmes possèdent et d’autres pas. On ne peut devenir communiste, il faut le naître pour en être. Un état, une sensation, un devenir qui ne peut ni se transmettre ni se transcrire dans un système finement organisé s’arrogeant le droit d’avoir dévoilé le secret de l’âme.


Le véritable communisme est étranger à toutes ces tendances matérielles qui orientent la pensée vers une fausse perception de la réalité, vers sa banalisation par l’instauration d’un dogme au service de la domination, du pouvoir et de l’avilissement de l’homme.


En fait, le véritable communisme est le contraire du matérialisme scientifique dans lequel les théoriciens marxistes ont cherché à en réduire l’essence et la véritable portée. Le communisme scientifique désire placer la conscience en tutelle, l’anéantir et la remodeler afin de limiter les comportements humains au fonctionnement d’une machine et, en dernière extrémité, anéantir la pensée même, de l’existence de l’âme et encore moins celui des fées. Le véritable communisme ne peut être défini, car il appartient une autre nature, un autre possible extérieur à l’homme un état.


Céline donne à tous les gauchistes fanatisés et dogmatisés par les saintes Écritures marxistes et pseudo humanistes, une terrible leçon d’humilité. Il nie leur vérité et leur sincérité. Il cherche à leur redonner une conscience volontairement écartée pour des causes matérialistes; cette obligation qui, dès qu’une vérité apparaît dans le décor, de la voir imposer comme une valeur universelle pour unifier l’homme sous une idéologie unique.


L’écrivain nie, autant à l’autocratie totalitaire qu’à l’illusion démocratique, le droit de s’approprier l’âme de l’homme. Dans «l’École des cadavres», il nie à Staline le flambeau de l’avenir de l’homme, comme il nie aux puissances de l’argent le droit de précipiter, au nom de l’âme, l’homme à la mort guerre universelle.


Aujourd’hui, nous pourrions facilement transposer ce que Céline dénonce par l’idéologie de la mondialisation et de l’uniformisation de l’âme au nom de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme.


Pierre Lalanne