vendredi 30 juillet 2010

Massacre pour une bagatelle

Massacre pour une bagatelle

Émile Brami, éditions L’Éditeur, 2010


Rumeurs, la découverte d’un manuscrit inédit de Louis-Ferdinand Céline suscite la convoitise, vol, meurtre, fraude et pire encore. La police enquête, le milieu de l’édition, du commerce du livre ancien et du cercle restreint des céliniens est sous tension, les autorités exigent des résultats. Tous les éléments pour un polar sont en place et, au-dessus du marécage, on devine l’ombre de l’écrivain qui, de l’outre-là, surveille ses droits d’auteur.


Idée intéressante, moyen original de parler de Céline autrement et, même, de donner l’envie aux amateurs de romans noirs qui ne connaissent pas l’écrivain, d’aller plus loin, de franchir la barrière où se terre la bête et d’aller le lire dans le texte, « Voyage… » « Mort à crédit » et se rendre compte de la valeur, de la richesse du véritable trésor qu’ils tiennent entre leurs mains.



Combien savent que Céline est le père de tous les Simenon et autres Mallet? Il est tout à fait normal de lui rendre cet hommage en le plaçant au centre d’une intrigue flico-littéraire. Il y a d’autres exemples où Céline se retrouve au centre d’histoires plus ou moins étrange, « Pulp » de Bukowski, « Ferdinaud Céline » de Pierre Siniac ou, encore « Je pense souvent à Louis-Ferdinand Céline de Sture Dalhstrom. Par contre, une intrigue qui tourne autour d’un manuscrit inédit de Céline, volé et retrouvé pouvant valoir des millions sur le marché des collectionneurs et, par le fait même, susciter la convoitise et les pires excès, constitue certainement une nouveauté.


Alors, heureux des moments de plaisir à venir on s’installe pour en savourer pleinement les minutes et l’histoire commence avec un saut dans le passé et retour sur le pillage, en août 1944, de l’appartement de Céline, lui-même en route pour le Danemark, afin de fuir des justiciers aux allures de petits truands; de grosses liasses de papier, contenant, peut-être, « Casse-pipe » « La légende du roi Krogold» et d’autres documents, lettres, disparaissent. De son exil et à Meudon, dans sa correspondance, Céline a dénoncé longtemps et vertement la sauvagerie du pillage des libérateurs, la réquisition de son appartement et le vol de ses manuscrits.


Va pour la mise en situation, le véritable récit peut se met en branle, un libraire sur la piste d’un texte au titre énigmatique « La Marquise », une nouvelle érotique? Un roman? Il est facile d’imaginer la bombe à retardement et son explosion à la parution d’une telle nouvelle. Puis, rapidement, le premier meurtre, celui de l’associé du libraire, un avocat-collectionneur et pourvoyeur de fonds pour l’achat du manuscrit. Presque aussitôt, c’est au tour du libraire d’y passer qui, le premier, a reniflé l’existence du texte. Le responsable de l’enquête lie rapidement les deux meurtres, Céline revient hanter la mémoire des bonnes gens et les évènements s’enchaînent… Il ne nous laissera donc jamais tranquilles?


La routine habituelle du polar s’installe, les hypothèses, les interrogatoires déboulent en cascades; qui aurait donc intérêt à tuer pour quelques feuillets griffonnés à l’encre bleue sur du mauvais papier et à l’écriture illisible? La question est posée et elle est posée souvent…


En colloque à Paris, les plus illustres céliniens passent à la casserole les uns après les autres, vérification des alibis, informations sur les autres experts et l’intérêt, pour le flic profane, que pourrait susciter dans le milieu l’apparition d’un inédit de Céline. L’un des céliniens les plus reconnus est particulièrement soupçonné et malmené; d’ailleurs, la caricature acérée de ce personnage, qui correspond à l’un des meilleurs spécialistes de Céline facilement reconnaissable, laisse songeur sur les véritables intentions de l’auteur.


S’y côtoient, également, d’autres acteurs qui, apparemment, resteront en marge de l’enquête, la fille de l’inspecteur, rebelle et boutonneuse, l’éditeur capitaliste, mais amoureux de Céline, accompagnée de sa nounou-secrétaire et quelques libraires spécialistes ou pas. Nous allons de l’un à l’autre, avec la sensation de faire beaucoup de sur place, un peu d’énervement pour noircir du papier en attendant que s’allume l’étincelle. L’impression dominante du roman apparaît rapidement, celle de se trouver à bord d’un train touristique roulant à grande vitesse avec peu de grands paysages à admirer.


En fait, cette histoire tourne un peu en rond et se limite de sa surface, ne décolle pas et se satisfait d’une suite d’effleurements rapides d’évènements sans envergure, comme si l’auteur n’ose pas s’imprégner de son sujet, afin de ne pas se compromettre. Comme de la confiture, il étale des incidents sans chercher à les épicer, les expliquer, les lier, afin de montrer un visage plus réaliste de l’engouement que peut encore susciter l’œuvre de Céline. Un roman qui, si l’on est un tant soit peu méconnaissant de l’œuvre de l’écrivain, de sa vie et dans le contexte dans lequel il a vécu, laisserait plutôt perplexe et ne donne pas nécessairement la curiosité d’aller plus loin.


Il y a meurtre, bien sûr! Dans le réel, Céline ne constitue pas le personnage central du roman, mais c’est lui qui, par sa présence fantomatique, lourde de présages et indirecte, provoque les sentiments sous-tendant la trame. Le plus important, dans un polar, ce qui construit sa qualité et son intérêt, est l’ambiance qu’il réussit à dégager, l’atmosphère, le jeu des personnages qui gravitent autour d’un axe et s’identifient, directement ou indirectement au centre de l’intérêt général. Le souffle, le mystère, l’inconnu, le fantastique mêmes, tout doit être mis en œuvre, modelé, utilisé et transformé, afin de permettre au lecteur de s’associer à l’ensemble et de se laisser lentement séduire.


En fait, le roman manque terriblement de chaleur, dès les premières pages le sentiment est que l’auteur cherche à se débarrasser de son histoire pour la placer au plus tôt sur les tablettes des libraires. La réputation de Céline fera le reste; en fait, la véritable intention semble se concentrer au désir de caricaturer le monde fermé des céliniens et, le principal acteur, Céline, demeure secondaire.


En effet, survol, froideur, indifférence et nonchalance, même les raisons, qui font de Céline l’écrivain qu’il est devenu, sont à peine abordées, le seul moment où une véritable émotion émerge, éphémère, se produit lorsque l’inspecteur se voit conquis par une première lecture de « Voyage au bout de la nuit », mais quelques phrases seulement, comme ça, pour faire sérieux, des allusions prudentes. Pas plus!


Pourtant, on imagine l’intérêt de la découverte, le flic qui enquête sur deux meurtres autour de Céline et devient, par ses lectures, lui-même célinien. Une belle complicité susceptible de se développer et de créer, entre l’œuvre de l’écrivain mort et le flic faisant ses premiers pas dans la magie du style célinien. D’ailleurs, étrangement, le nom du policier est le même que le titre du manuscrit cause du drame… mille possibilités surgissent. Pourquoi, ne pas l’avoir davantage exploité?


Admettons, qu’en même pas 200 pages, il est difficile d’approfondir et de mener à bien un projet à plusieurs facettes. Forcément, on ne peut que se contenter de survoler, mais, probablement que tel était la réelle intention de l’auteur, de ne pas trop s’engager, se mouiller… Et puis, à trop tourner autour de Céline, l’encenser en débordant le côté littéraire, demeure toujours suspect… les critiques surgissent et la réputation est accolée, la prudence s’impose.


Finalement, nous nous retrouvons devant un petit polar sans façon, à l’américaine, saupoudrée de drôlerie, de l’ordinaire, de petites violences et de morale à quatre sous, alors qu’une certaine langueur devait s’imposer de soi; quelque chose d’épuré, de discret et de tordu. Non pas une caricature, mais une recherche qui déborde le fait divers et s’attarde a une psychologie plus poussée des personnages, aurait démontré toute la richesse du parcours célinien et de ceux qui l’accompagnent et non pas l’inverse.


Une histoire un peu à la Vargas ou à la Mankell, avec leurs inspecteurs fétiches, le mystère et l’émotion à chaque page, aurait consolidé une structure et une dimension au roman qui n’existe malheureusement pas. Tout est d’une propreté moralisatrice agaçante, le cheminement des personnages chaotiques, comme si l’auteur cherchait à eux, à restreindre la puissance évocatrice de l’écrivain en le noyant dans une triste banalité au lieu de la transposer réellement dans un espace en ébullition.


Exemple… Parlons de la finale qui explose, après quelques pérégrinations pénibles, l’enquête débloque grâce la fille de l’inspecteur, âgée de 16 ans, qui se transforme en une policière d’expérience et se précipite au secours de son père, complètement dépassé dans ses hypothèses et en, un paragraphe, démêle l’imbroglio. C’est bien possible! Pourtant, on demeure ébahie et sceptique devant autant d’intelligence, de facilité et de perspicacité, lorsque, sur un coup de dé, elle force le meurtrier à se dévoiler; à moins que l’auteur désire faire passer les flics pour de parfaits crétins.


L’assassin avoue dans un sursaut de bonté pour sauver sa nounou-secrétaire, complice du forfait. Il regrette. Il pleure (???)! Il est soulagé et encore un coup de morale… Une fois le meurtrier sous les verrous, la fille de l’inspecteur décide d’entrer dans le droit chemin, d’aimer son père et de semer le bien autour d’elle, beauté d’un monde en devenir. Parallèlement, l’inspecteur profite de la vie avec ses copains et tout le monde est heureux et Céline retourne dans son tombeau satisfait du dénouement et regrettant d’avoir douté de l’humain.


Puis, c’est la grande conclusion, on revient au célinien perclus dans sa grotte fortifiée caressant ses trésors. Nous découvrons le véritable coupable, en marge et n’existant que pour la mémoire de l’écrivain. En composant un faux de Céline, il est l’élément déclencheur de la catastrophe… Le plus grand connaisseur de Céline, celui qui s’est le plus rapproché de l’esprit de Céline a fabriqué un faux, pourquoi? Il est convaincu d’être habité par le fantôme de Céline qui lui demande de recomposer en toute tranquillité les œuvres perdues.


La boucle est bouclée, l’arnaque est totale, un pauvre faussaire perverti et malade qui ferait les pires bassesses pour obtenir une pince à linge ayant servi à Céline pour classer ses manuscrits. Alors, la question revient en filigrane, jusqu’où peut-on aller pour assouvir une passion? La réponse va de soi, jusqu’au bout! Céline y est bien allé lui, jusqu’au bout de ses passions et là, se trouve son génie.


Répétitive tout au long du roman, la question est volontairement pernicieuse, car, au-delà de la caricature des céliniens, l’auteur dénonce une absence de moralité générale de la société. Pourtant, la morale est avant tout une question de fric…d’achat et de vente… les marchands font monter les enchères, car ils savent que certains sont prêts à y laisser leur chemise pour une édition numérotée d’un livre de Céline. L’écrivain coûte cher… très cher. Alors, pourquoi se gêner, C’est la demande… C’est l’offre…c’est le monde!


En réalité, on tue pour beaucoup moins et bien peu s’en formalisent.


Pierre Lalanne

jeudi 15 juillet 2010

Louis-Ferdinand Céline, écrivain de la langue

Si un écrivain a œuvré à la grandeur de la langue française, c’est bien Louis-Ferdinand Céline. Non seulement il a montré qu’une langue est avant tout l’expression de l’émotion humaine et, pour en saisir toutes ses subtilités, la nécessité de la transposer dans l’écrit afin d’en comprendre l’essence et en retenir la beauté. Par un désir de renouer avec les sources du langage, il a également redonné à l’écriture et, au roman en particulier, une jeunesse perdue, un temps où cette dernière pouvait s’exprimer en toute liberté.


Une langue que l’on cherche à baliser dans ses moindres détails; une langue que l’on retient prisonnière à l'intérieur de structures complexes et d’institutions pompeuses sous la férule d'une élite satisfaite de ses privilèges, ne peut, à long terme, que s’éteindre d’étouffement et d’ennui. Une telle langue sera peu à peu abandonnée pour une autre mieux adaptée à transposer cette émotion, si chère à Céline.


Épris de cette liberté de mouvement, le langage célinien fut rapidement considéré comme une menace à la structure de la langue et à la pensée séculaire d’un mode de fonctionnement établi et accepté par l’ensemble des élites. La langue de Céline fut aussitôt perçu comme une menace pour les académies poussiéreuses chargées, avant tout, du contrôle de la langue et non pas de sa valorisation et de sa mise en valeur. Une langue qui rassemble, mais dans une forme imposée afin d’encadrer et dominer, non pas pour extérioriser l’émotion dans le réel, mais pour la réduire à des formules complexes inaccessibles pour le commun, à des lois immuables et contraignantes.


Après la surprise de «Voyage au bout de la nuit», Céline est rejeté brutalement par la majorité de ses pairs. La réception de «Mort à Crédit» «Guignol’s band» et Féérie pour une autre fois» montre assez bien le phénomène de dégoût dont il fut victime. Céline fut autant rejeté par l’élite littéraire qu’il en a lui-même contesté l’autorité au nom de la création.


Plus fondamental, Céline a aussi démontré que l’émotion transmise par la langue et transposée en écrit, peut rejoindre la substance même de l’art et rendre cette petite musique intérieure en chacun de nous et, ainsi, atteindre et dépasser dans l’expression, d’autres formes artistiques, telle la peinture ou bien la musique.


Il s’agit pour lui de pousser cette transposition aux confins des structures traditionnelles de l’organisation technique du langage et de l’écriture, d’en observer les formes dans leur éclatement et les recomposer. C’est ce que Céline vise à démontrer lorsque, dans «Entretiens avec le professeur Y», il donne l’exemple des impressionnistes quittant la lumière artificielle leur atelier afin de travailler à celle du jour afin de la ressentir dans sa réalité et la recréer en fonction des perceptions de l’artiste. Pour Céline, la langue est une musique, une peinture, une fonction essentielle de l’imaginaire, puisqu’elle permet d’établir le lien entre l’individu et la réalité, sa perception du monde qui l’entoure.


En comparant son écriture au mouvement impressionniste, il rappelle que la langue française est d’une richesse incomparable, avec une palette de couleurs chargée de nuance et de subtilité et que cette interprétation de la luminosité ne constitue pas un obstacle à la modernité, mais, au contraire, en facilite sa régénérescence et sa survie. Toutefois, cette survie est liée à sa malléabilité et, nécessairement, se situe au-delà des normes et des structures rigides établies par les multiples conventions imposées au cours des siècles. Ceux, qui cherchent à revisiter la langue sous une autre lumière que celle de l’atelier du peintre, doivent nécessairement sortir au grand jour et s’en imprégner.


Ainsi, malgré trois siècles d’Académie, brutalement, Céline interpelle ses contemporains et leur dit que le français n’est pas uniquement une langue figée dans la sagesse des dictionnaires; réinventer la langue ne constitue surtout pas un choix politique, bureaucratique ou collectif, mais un acte individuel de rébellion, qui se traduit par un long processus de création. La véritable rébellion se situe là, dans une nouvelle interprétation du monde par la poésie.


La véritable révolution est émotion et elle fermente de l’intérieur, mais pour l’exprimer, il faut sortir au grand jour, quitter l’atelier et s’emparer de sa langue et la bousculer en contournant ses structures alourdies et débranchée de l’imaginaire. Non pas pour la simplifier, la réduire, bien au contraire, pour lui redonner une légèreté perdue, nécessaire à son envol.


Pour Céline, la langue n’a nul besoin de se gaver de mots étrangers pour se renouveler et exprimer l’imaginaire, que la richesse de ses racines lui permet de s’adapter à toutes les situations possibles. Tout au long de son œuvre, il invente des mots par centaine, les remodèle en modifie la signification, leur donne un nouveau souffle, une poésie, une drôlerie et une originalité magnifique. En réalité, Céline a cherché à redonner une conscience au français; mieux encore, il affirme que seul le français donne à l’homme la possibilité de toucher à l’âme.


Il y parvient par sa foi inconditionnelle en la culture populaire; le véritable cœur de la France ne se situe pas dans un cercle limité d'intervenants et dominé par un groupe qui dicte et impose la loi du moment au nom de principes totalement étranger à la majorité. La France de Céline est celle qui souffre, la France du petit Bébert et de l’avortée du «Voyage au bout de la nuit» et la France de l’enfance meurtrie de «Mort à crédit», la France des hommes en guerre poussés à s’entretuer pour la haine des autres. Cette France imaginaire et intérieure, qui dépasse les images que l’on désire lui imposer pour épater la galerie; les images vides de sens qui méprisent ceux qui permettent qu’une langue soit toujours vivante et résiste au dessèchement.


Céline vise très haut; par la langue, il cherche à rejoindre cette essence de l’humanité, perdue dans les dogmes du matérialisme où résistent quelques souvenirs dans les recoins de son imaginaire. Autrement dit, la seule manière de revenir à la véritable nature de l’homme passe par la fusion de l’imaginaire au réel et cette identification au réel ne peut que se réaliser par la langue. L’homme n’est pas un être de raison, n’est pas un être de spiritualité, mais un être d’émotion, un être culturel et l’expression de son identité est la pierre angulaire de son appartenance. L’humain est constamment en équilibre sur une mince ligne d’éternité qui lui permet de passer d’un monde à l’autre, en être conscient lui permettrait de conserver sa lucidité


La vision célinienne s’inscrit profondément dans la terre de France et dans la capacité à occuper l’espace par la langue, de s’identifier et de s’y intégrer. Céline a fortement besoin de se reconnaître dans son environnement…«loin du français, je meurs»…, d’établir une adéquation dans ses rapports avec ceux qu’il côtoie. L’identité est la rencontre de l’appartenance à un territoire et de la langue parlée, qui cimente les liens et les repaires communs. Inconsciemment, la réalité du monde ne se conçoit pas des structures politiques, mais poétiquement par la spécificité culturelle d’un peuple; c’est-à-dire ses origines, sa mythologie, sa symbolique, ses légendes…


Céline représente le dernier sursaut d’une France en perte d’imaginaire où les repères identitaires ne correspondent plus à l’inconscient collectif. Descendant des Lumières et de 1789, il en a refusé le caractère totalitaire du libéralisme, l’implacable logique de la modernité et parfaitement comprit son aboutissement irréversible. Céline est l’un des derniers porteurs d’une tradition qu’il a tenté de sauvegarder en orchestrant sa révolution littéraire. Il ne voyait pas, dans le règne de la Raison, une libération; il percevait plutôt le passage d’un obscurantisme à un autre et, selon lui, beaucoup plus pernicieux.


Il comprend également que le lent processus de démocratisation signifie à long terme le nivellement de la pensée et l’orientation de l’activité humaine vers un but unique, celui de l’argent et du matérialisme à outrance. Phénomène en phase d’accélération, il a connu la transformation radicale de la grandeur des rêves; rêves et imaginaire limités et banalisés à la simple idée d’accumulation.


Cette uniformisation, cette vision prophétique de Céline, se confirme également par la mise en place, lente et graduelle, d’une langue unique, technique, dite d’affaires et de communication. Langue d’Empire qui, inévitablement, viendra réduire le champ émotionnel de l’individu et annihiler son sentiment d’appartenance et le réduire davantage à un être sans identité, sans imagination et, surtout, sans avenir autre que son esclavage aux lois du marché.


On à peine à se convaincre, d’imaginer un tel destin, cent métiers, cent misères, chairs à canon, médecin de banlieue, qui devient, du jour au lendemain, maître du verbe et pourfendeur de l’hypocrisie généralisée. Céline ne pouvait se restreindre à pondre de petites histoires pour meubler les tablettes des bibliothèques ou entretenir des relations et perpétuer un système séculaire. Il voulait prendre la langue au bout de sa plume et la renverser.


Pierre Lalanne