vendredi 29 mai 2009

Louis-Ferdinand Céline et les communistes

Dès la publication du « Voyage au bout de la nuit », les communistes se sont méfiés de Louis-Ferdinand Céline. Dans une critique de « l’Humanité », Paul Nizan, tout en admettant la puissance et la profondeur évocatrice de l’écriture, conclut sa critique en spécifiant : « Céline n’est pas des nôtres ». Dans un autre texte, Trotski espère que les prochains livres permettront à Céline de sortir de sa nuit et découvrir la lumière apportée par l’espoir de la révolution.


Les communistes accusent Céline d’anarchisme virulent et d’entretenir un profond mépris pour le peuple. Dès lors, il est considéré comme suspect et demeure sous stricte surveillance. Avec « Mort à crédit », il n’y a plus de doute possible. L’ensemble des critiques supporte mal qu’un écrivain leur échappe, le génie fait mal paraître, alors ils se déchaînent et tentent de remettre l’auteur du Voyage à leur niveau.


De leur côté, les staliniens n’ont encore rien vu, la déferlante célinienne sera encore plus époustouflante que son pessimisme lattant et sa pseudo vulgarité.


Avec la publication de ses impressions de son voyage au « pays des soviets », Céline devient réellement la bête noire des communistes, l’homme à abattre. Court et concis, « Mea culpa » demeure un pamphlet dévastateur, qui n’a rien de délirant. Pour les écrivains français, le stage culturel et la vénération envers la révolution mondiale est un passage obligé, mais pas pour Céline.


Il ne peut rester silencieux devant l’hypocrisie de ses chers confrères qui reviennent tous enchantés et éblouis du paradis soviétique. Céline est trop intense et sensible à la souffrance pour se taire ou encenser un régime encore plus meurtrier que celui des Tsars. Pour les communistes français, Céline confirme sa véritable nature de contre-révolutionnaire, et les insultes envers les maîtres du kremlin ne peuvent rester impunies, tôt ou tard, il devra payer.


« Bagatelles… » les juifs, bien sûr, mais les communistes écopent également et durement. Plus tard, « Les beaux draps » et « l’École…» viendront servir de prétexte à la consolidation de l’influence des communistes sur les perceptions de l’opinion publique concernant la pensée et les actions de Céline. Un vieux piège rouillé, mais terriblement efficace l’attend dans le royaume du Danemark.


Sans vraiment le réaliser, les communistes tenaient le bon filon et ne le lâcheront le condamné qu’avec douze balles dans la peau ou, moindre mal, le bagne à perpet… Qui sait, en prison, les accidents sont fréquents. Tôt ou tard, Céline devra payer pour ses saloperies envers le prolétariat et ces vérités sur le régime, qu’il eut valu mieux taire à tout jamais.


Comme toujours, avec les communistes, l’affaire sera menée avec la discipline et l’obéissance aveugle propre aux membres du Parti. En attendant, guettant l’instant où mordre, les chiens rongent les os des autres victimes, purges, famines, trahison, l’appétit du petit père des peuples est insatiable.


Lors de l’invasion allemande du territoire soviétique, les communistes français oublient aussitôt le pacte germano-soviétique, relèvent la tête et enterrent leur liaison avec les nazis. Les alliés d’hier entrent en résistance contre la bête fasciste qu’il importe maintenant abattre au nom de la liberté et de la dignité humaine.


Stalingrad marque le symbole du retournement, la résistance française, sous l’impulsion des communistes s’organise et constitue une force sur laquelle il faut compter. Par ailleurs, ils comptent bien régler leurs comptes envers ces collabos et tous les autres sympathisants… À leur tour, ils devront souffrir et se guérir à la médecine stalinienne de la résistance.


Bien sûr, Céline est inscrit sur la liste noire, mais non pas, comme le veut la légende, pour ses écrits antisémites, mais bien pour ses romans et surtout ses positions anticommunistes clairement élaborées dans « Mea culpa » et dans « Bagatelles pour un massacre ». Déjà, il reçoit de jolis petits cercueils qui le préviennent que son tour approche.


En juin 44, Céline sait depuis longtemps qu’il sera aux premières loges du spectacle, le premier à monter sur scène lorsque les bandes de libérateurs se répandront dans les rues de Paris. Aucune chance! Aussitôt pris aussitôt fusillé et sans procès, comme des milliers d’autres. Les purges, l’épuration, les règlements de compte, de gauche ou de droite, ne font jamais dans la dentelle; la hargne et le désir de vengeance sont profondément ancrés dans l’imaginaire collectif et dissimulé dans des articles de loi.


Peut-on reprocher à Céline d’avoir voulu sauver sa peau?


Il n’a pas le choix et prend le large, la traversée du Reich, Baden-Baden, Sigmaringen, la dévastation jusqu’au Danemark donneront à la littérature et à l’histoire les chefs-d'œuvre de la trilogie allemande.


Il est donc erroné de croire qu’il fuit devant les Anglo-américains. Rappelons que le massacre des juifs n’est alors connu qu’en haut lieu et qu’il n’est nullement question de génocide, mais de millions de déportés enrôlés dans le travail obligatoire ou enfermés dans des camps. La question juive est secondaire dans les préoccupations des alliés; on s’en avisera plus tard et cela servira fort bien en tant qu’outil de propagande afin de bien asseoir la victoire. En 1944-45, les juifs ne comptent pas.


Pour la petite histoire, on se rappellera que Staline stoppa son offensive aux portes de Varsovie afin de donner la chance aux nazis de terminer le nettoyage du ghetto; l’offensive reprit dès le boulot achevé… Staline et Hitler : même combat, même désir d’élimination… De leur côté, les alliés ne chôment pas, libèrent la France, bombardent et détruisent méthodiquement les villes allemandes avec des centaines de milliers victimes civiles allemandes qui, eux, n’entrent dans aucune catégorie de statistiques ou de crimes de guerre.


Ce n’est qu’après, lorsque les chambres à gaz seront du domaine public qu’on se rappellera véritablement les pamphlets de Céline et ils serviront pour tenter d’étoffer un dossier d’accusation de collaboration et de trahison complètement vide. Céline n’a jamais trahi. Céline n’a jamais collaboré. Peu importe, l’hallali est en marche, l’écrivain est coupable de l’extermination des juifs en France et ailleurs. L’occasion est trop belle, les communistes associent aussitôt ses délires littéraires aux camps de la mort… mais la vérité est plus complexe, toujours


Lorsque Céline raconte que ses « ennuis » ne proviennent pas de ses écrits antisémites, mais de bien plus loin, du Voyage, il ne s’agit pas de paroles en l’air pour évacuer ses pamphlets. Il comprend que son grand malheur fut de refuser de se rallier à un courant ou à un autre… surtout au courant des soi-disant progressistes.


Au Danemark, les communistes prendront le relais de leurs collègues français, le dénoncent et exigent des autorités d’emprisonner ce nazi et de le livrer aux bourreaux qui attendent depuis si longtemps. Heureusement, des amis demeurent, et même s’il est emprisonné, ils parviendront à empêcher son extradition. Il est hors de tout doute que le Danemark, en refusant d’extrader Céline, l’a véritablement sauvé.


Sous la pression des communistes, la France aurait assassiné froidement son plus grand écrivain.


Pierre Lalanne

jeudi 21 mai 2009

Louis-Ferdinand Céline et les idéologies

La fascination envers Céline est telle, que l’écrivain et ses écrits furent et sont encore utilisés par toutes les catégories politico n’importe quoi; les uns le portent aux nues et les autres le vouent à l’échafaud; certains le citent; le dénaturent; le pillent; la plupart voudraient qu’il ne fût jamais né.


Il est catalogué selon l’époque et les courants qui s’affrontent. Céline fut, à un moment ou à un autre, acclamé par les communistes, les socialistes, les anarchistes, les chrétiens, les fascistes, les pacifistes, les athées, les racistes, les antisémites, les collabos, les païens, les Celtes, les indépendantistes, les elfes et les Vikings… Interchangeable, Céline a bon dos, il est présenté à toutes les sauces et poussé sous la bannière de tous les combats.


Docile et manipulable, il aurait été davantage apprécié, car, maldonne pour les agitateurs, il ne s’en réclame d'aucuns. Céline mène seul sa barque, il sent le vent et donne le coup de barre selon la course des nuages et les humeurs du temps, ce qui n’empêche pas les erreurs de navigations.


Seul sur son navire, il n’est pas pour autant hors de son temps, il vit et subit l’influence de son milieu au même titre que chacun d’entre nous. Par contre, il est plus critique, curieux et plus lucide que la majorité d’entre nous, il a cherché une explication, un dénominateur commun, une manière d’émerger d’un marécage putride avant de se laisse tenter par l’excitation politique. Il a cru avoir trouvé une clé, mais, très rapidement, las de l’incurie, il s’insurge, abandonne, retourne à sa littérature et attend le raz-de-marée.


Il se rend compte que les idéologies, sont des concepts montés en neige par des maîtres avides de pouvoir, tours de Babel doctrinaires et sectaires, semblables à toutes les religions avec leurs curés, leurs vérités, leurs rites et toutes sont imbues d’une même utopie: celle de la fin de l’Histoire et les promesses de bonheur universel.


Après sa mise au ban, il illustra fort bien son amertume en décrétant que les bibliothèques sont remplies d’idées, les encyclopédies, les universités et que toute cette somme de stupidité est d’une banalité soporifique, seule la manière de les présenter en fait l’originalité; le style est plus grand que l’idée; le style est raffiné et l’idée… vulgaire.


Il a appris de ses expériences, car, comme tant d’autres, Il a été, dans le contexte politique de l’avant-guerre, rassuré par la détermination allemande à vouloir créer une Europe nouvelle et unie devant les menaces à venir, et ce, en réaction à l’atavisme des « démocraties ». Pour beaucoup, l’Allemagne constitue alors le seul rempart valable contre cette nouvelle tempête en formation qui pousse les États vers une autre guerre qui sera encore plus terrible que la grande boucherie de 14. Quant aux soviets, son voyage en URSS lui a dévoilé la réalité de l’avenir radieux en devenir.


Devant la menace du déferlement, Céline a osé « croire » et dire qu’Hitler était le mieux placé pour empêcher la catastrophe… Pourquoi pas? Est-il immoral de prendre tous les moyens pour éviter ce que l’on croit être la pire des calamités tout en ignorant l’avenir? Les idéologues de notre époque, gonflés d’orgueil et de suffisance, se sont-ils déjà interrogés sur la profondeur de leur propre éthique? Même Staline, si méfiant, si sournois, a fait confiance à Hitler. Et nous! Nous, le bon peuple aspergé de conscience et de tolérance, qu’aurions-nous fait? Bien sûr, soixante-dix ans après les évènements, tous aurions marché au pas sur Berlin, c’est la seule réponse possible afin d’éviter les rappels à l’ordre.


Pourtant, Céline a rapidement compris qu’entre les deux clowns, celui de Brandebourg ou de la Loubianka, la différence est minime et que massacre pour massacre, Goulag pour Auschwitz, la finalité demeure la même. Combien de morts au Goulag, dans les purges staliniennes? Quinze! Vingt! Vingt-cinq millions? Personne ne le sait et tous s’en fichent éperdument. Jamais un dirigeant ou homme de main ne fut poursuivi devant un tribunal pour crimes contre l’humanité…passons. Il n’est toujours pas de mise de nos jours d’aborder de telles questions, de lever la main, de comparer, de s’inquiéter, de ne pas comprendre, Katyn! Un détail, certes… 10 000 morts sur 50 millions… les chiffres en colonnes de zéros ne veulent rien dire; les chiffres sont idéologiques, toujours… Inutile de comprendre, il faut croire.


Ainsi, pour Céline, l’Europe ne pouvait plus échapper au naufrage, l’Allemagne avait trahi sa révolution. Stalingrad devient le point de non-retour, les hordes de libérateurs bolchéviques emporteront le continent. Les nazis balayés et, à Yalta, Staline en grand vainqueur, celui qui a payé du sang de son peuple, ramasse le butin, à son tour il va piller, nettoyer et s’approprier les pays libérés par l’Armée rouge.


Quant à l’Europe de l’Ouest, en ruine, elle s’incline et demande protection, offre sa vassalité aux Anglo-américains.


Il préférait l’Europe à l’Amérique, là se trouve une partie de son crime. Il a cru à une ultime possibilité, se jeter à la tout va, brûler ses derniers navires, offrir la dernière folie pour sauver l’Europe du naufrage, d’où l’écriture des pamphlets dans un délire mythique. Peut-être se voyait-il comme un dernier païen, le dernier résistant, devant la violence des chrétiens, renversant les idoles et abattant les arbres sacrés. Céline a compris trop tard l’irréversibilité de l’Histoire, l’ordre de marche des sociétés en mouvance constante.


Aujourd’hui, il rigolerait de voir l’aboutissement de son XXe siècle et serait même surpris d’avoir tout pressenti si exactement, l’émergence des nouveaux mensonges masquant les profondes contradictions de notre pseudo pluralisme démocratique où, les nouvelles valeurs fondamentales de tolérance, de droit et de nivellement politique ne font que masquer une profonde incertitude sociale quant à l’illusion concernant la réalité de nos principes de liberté, d’égalité et de droit, dont les fondements sont uniquement basés sur le mensonge et l’injustice et, tout cela, afin que jamais ne resurgissent les anciens démons.


Alors, ses chimères, les Chinois à Cognac, les Soviets sur les Champs Élysées, l’Amérique et « l’esprit juif », le métissage sont pour Céline l’expression d’une France parvenue à la croisée des chemins. Les preuves de sa décadence et de sa fin dans l’abêtissement de la culture, dans la publicité en tant qu’art, la télévision en machine à laver les cerveaux et la superficialité de la littérature sous la marque de Françoise Sagan; une France sans saveur et sans odeurs qui s’acharne à creuser sa tombe autour de son nombril en se drapant des couleurs d’une Amérique impériale.


Il juge. Il dénonce. Il s’emporte. Il écrit et exagère toujours en se noyant dans les excès de propres à son génie. Il sait que l’avenir n’appartient plus à sa patrie qu’il aime tant et que tout le reste est du blabla et du bourre mou. En fait, si Céline peut se réclamer d’une idéologie quelconque, c’est celle de l’apocalypse, celle du cataclysme intégral, de la grande finale, celle de son monde dont il est le seul à avoir compris, prédit et décrit les derniers soubresauts; la seule fin possible lui permettant de s’offrir l’envergure nécessaire à la magnificence de son style.


Céline n’est pas raciste dans le sens propre du terme, l’infériorité et la supériorité en fonction de la race ne le concernent pas, il connaît trop bien l’humain pour tomber dans ce piège; l’humain est une ordure quelque soit la couleur de sa peau. Il pressentait les dangers propres à notre temps la globalisation, l’uniformisation, la fin des particularismes et la disparition de sa France avec laquelle il a grandi et pour laquelle il a versé son sang.


Pierre Lalanne

lundi 18 mai 2009

Rien caché, ni rien renié

Ce texte se veut une réponse et un complément au précédant message " Louis-Ferdinand Céline et la souffrance".


Merci à Michel Mouls


www.celineenphrases.fr


Pierre L


Est-il possible de saisir entièrement l’esprit de Louis-Ferdinand Céline, de découvrir, de comprendre et d’expliquer sa conscience secrète dissimulée dans ses romans, ses pamphlets, ses innombrables lettres?


Tout d’abord des milliers d’exégètes les mieux intentionnés s’y sont essayés et ont bien perçu que l’on ne peut pas séparer l’homme de l’écrivain…


Ainsi, on peut comprendre, expliquer alors, parce qu’il n’y a rien de « dissimulé » dans son œuvre (les pamphlets le démontrent aisément, même s’ils restent des textes conjoncturels), comment Louis-Ferdinand Destouches s’est transformé au fil des années en Louis-Ferdinand Céline.


L’injustice, le mensonge, l’hypocrisie l’ont marqué à vie. Au fur et à mesure de ses expériences successives d’adolescent, d’apprentis, de la guerre, de ses parcours africains, américains, son séjour à la SDN, celui dans les bas-fonds londoniens, ses années d’études médicales, ses soins en dispensaire de banlieue… le pouvoir des élites masquées, les néfastes solutions démocratiques, les rôles inversés des religions ou des Loges l’ont révulsé et ont contribué, associé à son génie de la phrase, à fabriquer l’immense écrivain du XXe siècle que nous connaissons.


Il n’a jamais rien caché. Sa sensibilité exacerbée, sa souffrance, son impuissance, son désespoir se sont transformés, au fur et à mesure en rage, colère et haine rentrée.


Après le « Voyage » en 1932, il a fui la récupération par la gauche française, il a dénoncé le communisme dès « Mea culpa », il a marqué aux fers ceux qui poussaient hystériquement à la guerre, lui qui avait vécu les atrocités de la précédente… Il n’a épargné personne, il n’a adhéré à aucun mythe, à aucune idêêês, à aucune chapelle…Il a donc été traqué, haï, exclu…


Ses réponses littéraires aux expériences vécues découlent de la même veine. Après Elsa et Aragon traduisant le « Voyage » en Russie, la gauche et sa récupération pour son anticolonialisme, il écrit « Mea culpa » où il leur montre que « la grande prétention au bonheur, voilà l’énorme imposture! »


Après son séjour à la SDN où il travailla au service d’hygiène du docteur Rajchman ainsi que pour la Fondation Rockefeller, il écrira « l’Église », comédie en 5 actes où il s’amusera, au 3e, avec « Yudenzweck »…


Après les nombreuses arrivées étrangères d’Allemagne et d’Europe centrale, les appels à la guerre de ces bellicistes qui désiraient avant tout se venger et ne craignaient nullement de sacrifier une fois encore des millions d’adolescents, il écrira « Bagatelles pour un massacre » et « l’École des cadavres » dans la foulée…


Après la défaite, si prévisible, « en trois semaines », il répondra, à ceux qui avaient déclaré cette guerre « pour la démocratie », par « Notre Dame de la débinette » ou « Les Beaux draps »…


Les vainqueurs brandissent toujours un trophée. Ils tenaient leur bouc émissaire. L’éliminer de la vie littéraire ne suffisait plus, il fallait l’éliminer tout court.


Il n’a eu que le choix de la fuite, l’exil. Pourchassé, Denoël, son éditeur assassiné, il a dû traverser l’Allemagne en feu pour rejoindre la Baltique. Et là encore, il a répondu par la trilogie, chroniqueur d’après-guerre, le spectacle du gouvernement de Vichy exilé à Bade-Wurtemberg et la fuite à Sigmaringen…


Non, on ne peut décidément séparer l’homme de l’écrivain…Encore une fois, il s’agit d’un même personnage, d’un être sensible, terriblement atteint au fond de son âme par les misères morales dont les hommes s’accablent.


Alors, avec une « langue déconstruite, mais organisée », avec le génie du rythme, en lutte permanente contre l’académisme, il a crû pouvoir « tout seul arrêter la guerre », tout seul dénoncer l’immonde, les mensonges les « Églises »…


Face à l’impossibilité de sa tâche, et après avoir imaginé un moment que la médecine pourrait faire office d’un baume à la souffrance généralisée, il s’est alors inconsciemment peut-être donné pour mission de transposer la douleur du monde en art, en mots, en musique, en style, une formulation magique que personne n’a réussi à percer, ni à expliquer…


Michel Mouls

jeudi 14 mai 2009

Louis-Ferdinand Céline et la souffrance

Est-il possible de saisir entièrement l’esprit de Louis-Ferdinand Céline, surprendre sa conscience secrète, dissimulée dans ses romans, ses ballets, ses pamphlets, ses articles et y découvrir un seul chemin pour mieux parcourir l’œuvre, un sens caché liant l’ensemble? Est-il possible de s’abandonner sans danger à l’ampleur et à la richesse de l’écriture et de persévérer? Prendre un second souffle et plonger plus loin, dans sa correspondance, se laisser noyer par ces milliers de lettres à l’un et à l’autre, écouter la somme de ces cris déchirants de l’exil danois et ne pas éprouver le même désespoir qu’il ressent?


Dans un siècle, on en retrouvera encore de ces missives, ces appels contre l’arbitraire du vainqueur assoiffé de vengeance et convaincu de sa grandeur, de sa force et de son droit divin à se faire justice. Céline a rapidement compris que l’essence de l’homme est le mensonge, le meurtre et la vengeance, les fondements de son pouvoir sur le monde qu’il domine.


Dès le « Voyage », Céline a démontré que l’individu traverse l’existence la tête engourdie dans un brouillard conditionné par la souffrance. Il sait le roulement de l’histoire impitoyable pour ceux qui la subissent, ses figurants. Dès l’enfance, le fils est enchaîné aux rêves des parents. Puis, l’école assimile et encadre la moindre tentative d’imagination et l’offre en pâture à un système qui le brise en morceaux pour mieux en redistribuer les restes aux avides, aux patrons, à l’État et à ses institutions dans un asservissant programmé et huilé. En récompense de sa soumission, il devient l’esclave d’un salaire alloué en fonction des normes de la consommation mondiale et va lentement crever d’un cancer ou d’une cirrhose avec le sentiment du devoir accompli.


Parfois, dans ce brouillard de mensonge et de souffrance tranquille, une guerre vient faucher toute une génération mais, aussitôt reconnaissante, la société rend les honneurs aux sacrifiés du jour et élève des monuments aux morts, frappe des médailles et commémore la grandeur de mourir aux champs d’honneur dans un nouveau rite laïque qui, lui aussi, se veut immuable. Plus rarement, le déferlement d’une révolution perce la nuée, mais les rêves se transforment rapidement en cauchemar encore pire qu’avant, puisque tout est à recommencer. La guerre, la haine, la vengeance.


Après 1944, il devient le candidat idéal, celui à donner en exemple, le bouc émissaire parfait pour des élites drapées d’hypocrisie, de justice et de pouvoir. L’écrivain est en fuite, pourchassé, censuré, emprisonné, son éditeur assassiné et, finalement condamné à l’indignité nationale et amnistié uniquement par une entourloupette de son avocat. Seul! Entièrement isolé pendant toutes les dernières années de sa vie, Céline est une bête traquée, haï par une meute de chiens excités, prête à le déchirer au moindre signe des bien-pensants, à la moindre hérésie de sa part. Il se tait… Il n’a pas le choix de se taire et d’écrire.


Aujourd’hui, les générations sont soumises à un Dieu monstrueux. Elles sont avalées par une bête fabuleuse, asexuée se reproduisant par l’intervention du Verbe : la Loi du Marché. Conséquence logique, l’individu n’est plus seul à souffrir, c’est la Terre entière qui est vidée de sa substance par la divinité du Marché et de ses tables de la Loi. Vivant, Céline aurait matière à dire encore que personne ne lui a encore démontré qu’il avait tort.


Se laisser envahir par la souffrance célinienne, c’est constater l’incapacité de l’individu à sortir du brouillard dans lequel il s’est lui-même enfoncé; c’est constater que la der des ders ne viendra jamais, sinon dans le spectacle d’une grande finale, celle de l’extinction de l’espèce qui se terminera à coups de massue, jusqu’au dernier mort expirant au nom d’une chimère : la Liberté! La démocratie! Pour Céline, il est impossible de sortir d’un tel brouillard, d’un tel mensonge. Il n’y a que la souffrance à exprimer et, peut-être, parfois, à soulager.


Après la boucherie de 14, il a cru un moment que la médecine pourrait faire office d’un baume à la souffrance généralisée, mais sa pratique n’a que confirmé ses appréhensions et amplifié son désespoir face à l’impossibilité de la tâche. Cet échec a déterminé l’éclosion de sa véritable nature et son ouverture totale à l’écriture. Inconsciemment, Céline s’est donné la mission de transposer la douleur du monde en art, en mots et en musique, en style, une formulation magique que personne n’a réussi à percer, ni à expliquer. C’est le caractère unique, l’Émotion divine de l’œuvre célinienne.


C’est par la souffrance que son style devient métaphysique, multiple et passion; devient musique! Devient cette sensibilité dissimulée derrière une accumulation de rage et de haine. La réceptivité de Céline à la souffrance est plus réelle et sincère que celle contenue dans toutes les religions monothéismes réunies, car elle s’attarde aux véritables malheurs de l’Homme, aux mensonges et à la souffrance terrible et inconsciente d’y être enchainé. C’est fondamentalement pour cette raison qu’on le déteste tant, car malgré le mystère dont il s’entoure, nous savons qu’il touche à l’essentiel.


Lire Céline c’est souffrir l’Homme avec lui, c’est vivre avec la certitude de notre ignorance à saisir l’inutilité de notre existence; c’est s’imposer à contempler l’ombre de la mort en sachant qu’il n’y a rien derrière. Lire Céline, c’est se mettre à nu devant une infinité d’émotions troubles, qui enfoncent les tabous et les interdits… les mensonges généralisés et la certitude de la fin.


Malgré tout, C’est aussi une invitation à recommencer cette kabbale magnifiquement païenne et à tout reprendre autrement. C’est l’espoir qu’une nouvelle lecture dévoilera un nouveau sens caché, la découverte d’une clé pour accéder à notre Graal intérieur, mais brutalement, nous sommes toujours ramenés au point de départ, au début de l’œuvre; au début de l’ultime « Voyage au bout de la nuit », le nôtre et le sien où « rien ne luit ».


Pierre Lalanne

vendredi 8 mai 2009

Lettre à Louis-Ferdinand Céline (1)


Cher Ferdinand,


Bientôt 50 ans que t’es mort et l’aversion des biens pensant pour tes chefs-d'œuvre n’a jamais été aussi écumante. Ton nom, à peine murmuré, est un cri de ralliement pour les prêtres de la rectitude, ceux qui décident ce que l’on doit penser, aimer et lire, les kapos de la culture. De nos jours, les collabos ont belles allures, infiltrés dans les salles de presse, avides et assoiffés, ils gagnent pitances à surveiller la moindre ligne et dénoncer ceux qui osent affirmer que tu n’es pas si méchant et peut-être bien le plus grand.


Allons! S’agit-il d’une preuve supplémentaire de ton génie, de la puissance de ta musique que tu leur craches ainsi à la figure? Certes, qui d’autre a montré jusqu’au délire intégral, le véritable visage de l’Humanité? Tu as décrit la spiritualité de l’Homme dans toute sa crudité, sa vérité, démontré qu’il est une ordure magnifique et que ses descendants seront toujours des salauds en puissance.


Les plus salauds de tous sont ceux qui affichent leur bonne conscience en osant donner des leçons de bonne conduite. Ces gens, ces humââânistes, capables de porter la guerre partout au nom de leur liberté et de leur démocratie. Cent fois, tu nous l’as raconté, à ta manière, dans ta folie du verbe. Cent fois tu nous as dit : l’espoir n’existe pas. Toujours, nous serons prêts à nous entretuer pour un Dieu ou pour un autre, un tyran ou un démocrate, un tortionnaire ou un extraterrestre. Toujours, le fort écrasera le faible.


Ces humââânistes, Ferdinand, sont les inquisiteurs des temps modernes. Jadis, au nom de Dieu et de l’infaillibilité de son église, ils brûlaient les hérétiques, les sorcières, les mécréants et autres incroyants. Aujourd’hui, au nom de la liberté et de son hypocrisie, ils censurent et imposent le silence à ceux qui osent porter un jugement autre que le leur.


Car, très cher Ferdinand, le summum de la liberté, n’est plus la révolte par l’écriture, la rébellion contre les conventions. La liberté c’est le Droit… Hé oui! Tu t’en serais douté, toi qui as si bien râlé contre les va-t-en-guerre en tout genre au nom du droit. Le Droit, Ferdinand! Pas celui de hurler contre les injustices qui secouent tes entrailles, aujourd’hui les psys foisonnent pour canaliser tout ça et faire accepter l’inacceptable, mais le Droit absolu de s’enrichir aux dépens des autres; le Droit de réduire la planète en un immense camp de concentration au service du Marché. L’esclavage, Ferdinand! Tu avais raison et nous y sommes parvenus encore plus rapidement que tu ne le croyais. Les soldats marchent toujours au pas, mais sont devenus des pacifistes désintéressés qui méritent des prix Nobels.


Combien de morts au nom du Marché? Combien de génocides d’enfants esclaves, de femmes et d’hommes morts dans le silence de l’indifférence? Combien de peuples assimilés, de cultures et de langues annihilées? Combien de crèves la faim pour la conquête du Marché? Chez Ford, tu voyais déjà l’apothéose de la machine et son contrôle absolu sur la pensée.


Qu’importe tout ça, tu restes le seul coupable. Un minable! Tu as vendu aux Allemands la ligne Maginot, donné la rade de Toulon, dénoncé tous les Juifs de France et les autres en primes… Tu as tout comploté, organisé en bon chef de gare obéissant. Tu es vraiment le pire des salauds, le seul, l’unique collabo, comment as-tu osé? Qu’on déterre tes restes pour les brûler et tes livres avec, te réduire au silence, rayer ton nom des registres et… qu’on en parle plus.


Mais non, pas du tout, rassure-toi, ils ont trop besoin de toi. Tu représentes la bête immonde et tu renforces la bonne conscience des imbéciles. Tu es la justification de ceux qui montent aux barricades pour réduire au silence celui qui pisse de travers en osant dire que tu es le seul à avoir compris la véritable nature des Hommes.


Ton souvenir entérine les tabous et les dogmes des élites étouffées de caviars et bons sentiments. À présent, l’humanité peut respirer et vivre d’espoir, le mouvement est irrévocable, elle s’est entièrement convertie au Marché et évangélise la terre entière. Elle porte fièrement, au bout du fusil, la Déclaration des droits de l’Homme et le libéralisme économique, oriflamme de la liberté et du nivellement intellectuel.


Merci, Ferdinand, si le monde devient meilleur, devient plus riche c’est bien à toi que nous le devons.


Pierre Lalanne


(1) Réponse à un chroniqueur d’un quotidien ayant une conception particulière de la liberté d’expression; réponse, bien entendu, jamais publiée.